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Avr
01

Loppet Boréal 2009

par Paul Junique, Verdun

Je viens de terminer mon entraînement et je range mes skis dans leur poche. « Hey Paul! C’est où que tu te gèles les doigts en fin de semaine? » Mon voisin de stationnement s’enquiert de mes prochaines activités. C’est incroyable, il ne sait même pas que c’est la fin de semaine de la Loppet Boréal. Mieux que ça, il pense que c’est une compétition d’hommes forts. Il ne m’a pas regardé comme il faut… Je vais prendre cinq minutes pour lui expliquer.

La Loppet Boréal (qui, soit dit en passant, en est à sa cinquième édition), c’est un événement de ski de fond qui propose aux participants des parcours de 7, 14, 27 ou 54 km. Pour ceux qui veulent en avoir pour leur inscription, il y a aussi un 103 km. Dans le fond, je suis mieux de lui raconter la course de cette année (des fois que ça lui donne le goût de s’inscrire l’an prochain).

« Le commandant Junique et son équipage sont heureux de vous accueillir à bord du Subaru Outback 105, à destination de Forestville. Le trajet est prévu pour une durée de 8 heures et la température au sol est de -9 oC. Des cafés seront disponibles dans les dépanneurs où nous remplirons nos réservoirs. Il n’y a pas de toilette à l’arrière du véhicule et nous vous rappelons qu’il est strictement interdit de fumer en cachette. »

C’est jeudi, Micheline et moi venons de décoller pour Forestville. Tout est prêt: le matériel de ski, les lunchs pour la route, le guide touristique, le bulletin météo et un sac de bonne humeur. J’ai hâte de retrouver les amis et la région. Dodo au Lac Beauport chez un copain. On passera une partie de la soirée dans un igloo qu’il a construit avec ses enfants, dans son jardin C’est drôlement commode: tu poses ta bière sur le sol et elle refroidit toute seule.

Vendredi: levés de bonne heure, nous reprenons la route pour aller pique-niquer à Saint Siméon, au bord de l’eau, sous un soleil éclatant (5 oC). Le fleuve charrie des tonnes de glace qui s’entrechoquent dans un vacarme métallique. Fascinant!

À notre arrivée à Forestville, la pluie commence à tomber. Après avoir salué un groupe de skieurs de Québec, on file récupérer nos dossards. Bernard (Leclerc) nous accueille. Il m’informe que demain, tous les départs seront retardés d’une heure en raison des conditions météo. Les jeunes bénévoles qui remettent les dossards(1) et trousses de renseignement sont d’une politesse et d’une amabilité extrêmes. Ils méritent un gros bravo. Ça fait plaisir d’entendre des jeunes s’exprimer aussi correctement et faire preuve d’autant de sérieux et de courtoisie(2). Ralph Hendrix, de Californie, est de nouveau sur la liste des participants. Mes félicitations!

Je retourne à la chambre pour une partie de Lego(3) avec Micheline, une sieste et une douche. Ensuite, visite à la Marchande de Sable(4). Si vous n’êtes pas allé dans son atelier, vous devriez être pénalisé pour la prochaine course. Il faut aller voir les oeuvres de Rose-Marie (Gallant). Des tableaux peints avec du sable aux sculptures de sable insérées dans des bouteilles de verre, tout est magnifique. La créativité, la bonne humeur et la joie de vivre de Rose-Marie ont l’effet d’un vrai rayon de soleil au milieu de cette soirée pluvieuse et morose.

Souper avec Frédéric et Mario (Brochu). Le buffet est toujours aussi apprécié. L’ingestion des desserts et du coulis de framboise procure un grand moment de bien-être. Les participants arrivent peu à peu: Diane(5) (Bouchard), Lise (Audet), Renée (Hamel), Francis (Roy), Michel (Labrie), Pierre (Hétier), Sté- phane (Martel), et j’en oublie…

Un peu de repos pour aider à la digestion et il est temps de se rendre à la réunion d’information du 103 km. Chaque participant a apporté sa réserve personnelle d’anxiété et de stress, pour en faire partager les amis. Il faut préciser que les conditions météorologiques sont plutôt angoissantes: 2 oC, pluie abondante prévue pour une partie de la nuit, refroidissement annoncé pour la matinée, avec des vents violents. La machinerie ne peut rien contre une telle adversité.

  • Tous les départs sont retardés d’une heure. Il sera décidé demain matin à 6 h si le trajet du 103 km est maintenu ou si 3 boucles de 17 km le remplaceront. Tout dépendra de la possibilité de tracer et de concasser la glace avant le passage des skieurs.
  • Les motoneigistes qui assurent la protection des participants sont toujours présents en aussi grand nombre.
  • Il y aura une vingtaine de pompiers disponibles sur la piste en cas de pépin (ce qui fait dire à Mario: « Si il y a un feu, Forestville est une perte totale »).
  • Les gels sont disponibles dès le cinquième ravitaillement(6).

Mauvais dodo, ponctué de brefs réveils provoqués par les rafales de vent. À partir de 4 h, les traceurs de pistes et les motoneigistes ont commencé à préparer la piste. Il faut rendre hommage à ces braves qui ont rendu l’événement possible. Sans leur courage et leur persévérance(7), la course n’aurait pas été faisable. Ils ont tellement bien travaillé qu’à la réunion d’information(8) de 6 h les organisateurs ont annoncé la tenue du 103 km, tel que prévu. Bravo, Bravo, Bravo! Il y a un petit Jésus pour les skieurs et pour Forestville.

Je retourne à la chambre prendre un café et me préparer. Chaudement habillé, je me dirige vers la ligne de départ pour tester mes skis. Croyez-le ou non, ma poche de skis qui contient deux paires de skis et trois paires de bâtons est partie au vent… J’ai pas testé longtemps. C’est en char à voile que je devrai courir.

Le thermomètre indique -14 oC. Avec le facteur éolien il flirte avec les -26 oC. Je vais encore me geler un bout… Les tentes et les banderoles sont à terre. Les motoneigistes et les officiels sont vraiment courageux. Bon, on y va! Pour nous éviter des engelures, les officiels nous réunissent dans une salle pour vérifier les numéros de dossards et les présences. Il y a du stress partout. J’arrive difficilement à m’en dépêtrer. Par chance, on est vite parti en courant sur la ligne de départ (déplacée à l’abri du vent) et une minute après, les 27 gladiateurs démarraient leur périple.

Pour faire comme les collègues, j’ai pris une gourde. Ça donne une contenance et je peux même y mettre de l’eau. Si je ne suis pas très présentable en passant devant les photographes, je pourrais me nettoyer le visage. Je transporte aussi deux barres Mars (vestiges du Marathon Canadien). Si je rencontre des enfants, je pourrais les leur donner (à condition qu’ils soient avec leurs parents, je ne veux pas passer pour un vieux cochon).

Même scénario que l’an passé: un groupe de jeunes me distance rapidement. Je ne force pas pour rester avec eux, je veux me remplir les narines de l’odeur du MacDo. Cette année, je roule seul, personne ne me suit. Pourtant je me suis mis du sent-bon sous les bras et j’ai lavé mes combines. Je vais donc me concentrer sur ma technique. Et j’en ai bien besoin. La piste est irrégulière, jonchée de branches, et pleine de morceaux de glace. Dans ces conditions, il est impossible de faire du one-skate. C’est en two-skate et en déphasé que je vais me taper les 103 km(9). Concentré sur mon équilibre (instable), j’essaie de ne pas me doubler, ça ne sert à rien de s’exciter, il reste un bon bout à skier. Le vent (de face) est effrayant. Prévoyant, j’ai mis des bobettes blindées.

Aux postes de ravitaillement, je prends le temps de siroter un verre de jus et de remercier les bénévoles. Leur sourire est réconfortant et m’accompagne de relais en relais. Cette année je découvre les carrés aux dates réchauffés dans la poêle. Génial( 10)! Je ne consomme pas de Power Gel, pas besoin de drogue pour rester gelé. À partir du 50e kilomètre, les organisateurs ont placé le vent de dos pour qu’on puisse se vider la vessie sans en prendre plein les culottes. On va pouvoir se geler les fesses. Ça va beaucoup mieux: je m’entends râler. Pour passer le temps, comme je suis tout seul, j’essaie de trouver des occupations: je prends des relais avec moi-même, je chante (c’est pas tous les jours que je peux le faire sans déranger personne), je m’encourage dans les montées « Lâche pas, mon Paul, t’es capable » – « Go Paul, Go! » – « Le numéro 105 vient de te rattraper, ne le laisse pas doubler ». Je n’ai même plus le goût de me conter des blagues, je les connais toutes.

Sans vraiment penser à mal faire, je rattrape et dépasse un skieur du groupe de tête. Par contre, je me sens suivi. De temps en temps Frédéric (Brochu) me remonte et reste collé derrière moi. Je le lâche dans les montées et finalement je ne le reverrai plus, jusqu’à l’arrivée.

La Loppet Boréal, c’est pas un jeu vidéo. Quand tu es tanné, tu ne peux pas mettre à « Off » et prendre un break jusqu’au lendemain. Pas question de se battre contre un ennemi virtuel. C’est contre soi-même, contre les autres coureurs, contre l’ennui, contre la solitude, contre la douleur et contre les éléments qu’il faut en découdre. Et ce n’est pas toujours facile. Par contre, j’ai pris le temps d’être romantique et d’apprécier le paysage, les couleurs, les odeurs(11), le jeu des ombres sur la glace ainsi que la gentillesse et les encouragements des bénévoles. Un grand MERCI!

Je me paye aussi une petite hallucination: une skieuse en classique. Il me faudra dix minutes pour réaliser que c’est une des participantes au 54 km classique. Youpi, j’ai rejoint leurs traces. Il ne doit pas me rester grand kilométrage. Effectivement, le terrain d’aviation se pointe le bout du tarmac. La ligne d’arrivée est proche. Ça sent la médaille. Je réalise dans l’avant dernier kilomètre qu’un de mes compétiteurs est dans ma ligne de mire. Trop tard pour essayer de le rejoindre. Bravo Yves (Deguire), tu m’as battu. Je vais quand même m’efforcer de paraître à mon avantage pour franchir la ligne d’arrivée: un coup de peigne, je redresse ma tuque(12) et j’essuie mon visage avant de faire semblant de sprinter.

Cette année encore, ce sont les becs de Micheline qui m’ont ramené à la vie. Un autre beau moment. Ensuite je me suis plié aux exigences des médias et j’ai bredouillé quelques mots pour remercier le journaliste qui me présentait son micro (en fait, je pensais qu’il m’offrait une bière). D’après Micheline, c’est Frédéric qui a eu le plus beau sourire sur la ligne d’arrivée. Il faut que j’en parle au coach et que je m’entraîne plus sérieusement devant mon miroir, pour l’an prochain. Je n’ai que deux engelures sur les joues. Je m’améliore.

Ce n’est pas fini. Il reste les vraies affaires. L’apéro et le banquet! C’est aussi pour ça que je vais à la Loppet tous les ans. À Forestville, on sait recevoir. Accompagné de Micheline, je me suis rendu au complexe Guy-Ouellet où bénévoles, commanditaires, officiels et participants se réunissent pour terminer la soirée. Nous avons complètement loupé notre entrée, nous sommes arrivés par les cuisines. J’ai stationné devant la mauvaise porte… J’ai quand même récupéré un verre de vin pour ne pas avoir l’air tout nu. Les demoiselles qui s’occupent de l’accueil sont vraiment charmantes et leur merveilleux minois inaugure bien la soirée. On s’y retrouve avec Chantal (Métivier), Rose-Marie, Frédéric et Mario, Michel, Serge, Stéphane et Yves (Deguire). Mario voulait la table no 911. Il pense que c’est celle qui a statistiquement le plus de chance d’être appelée en premier pour le souper… (On n’a pourtant pas l’air si maganés que ça).

En admirant les photos des participants en action (qui défilent sur un écran géant), je réalise que je n’étais pas seul à avoir des problèmes de technique durant la course. Le style laisse vraiment à désirer. Le taux d’alcoolémie et le brouhaha s’amplifient (c’est à cause de la broue). Les conversations sont de plus en plus animées. Et le bonheur continue de couler un peu partout (y compris sur ma table, je viens de renverser mon verre de vin). Une voix vient d’annoncer au micro: « Les résultats sont affichés prés du bar». Quelle brillante idée. Satisfait ou non de sa performance, l’athlète peut noyer sa joie ou sa peine dans la boisson, sans avoir à se déplacer. Les préposés au bar n’auront pas la tâche facile. Renée Hamel réitère l’exploit de l’an passé en rentrant première femme. Chez les hommes, Michel (Labrie) est rentré premier, suivi de près par Gatan (Beaulieu). Bravo à tous!

Je dois aussi rendre hommage aux participants des autres courses (7 km, 14 km, 27 km et 54 km). Comme nous, ils ont souffert du froid et du vent. Leur performance est tout aussi remarquable. Si je les mentionne un peu moins que celles de mes amis du 103 km, c’est parce que j’ai skié un peu moins longtemps avec eux. Le repas est délicieux (tout spécialement le boeuf bourguignon. Quand aux desserts, cette année j’ai imaginé une nouvelle tactique pour en profiter un peu plus. Je les consomme sur place, sans retourner à ma table. J’ai pu déguster quatre morceaux de gâteau, sans me déplacer.

C’est presque terminé. Il faut rentrer à l’hôtel. Je n’ai pas eu le courage d’aller à la chambre 151 continuer la veillée. Excusez-moi, la fatigue, sans doute. Pour tous ceux que je n’ai pas nommé, pour tous les bénévoles qui m’ont encouragé, pour les organisateurs qui poussent la délicatesse jusqu’à nous remettre une coupe de champagne sur le podium et une photo souvenir, pour les motoneigistes dont on a envahi les pistes pour la fin de semaine, pour tous les jeunes qui nous ont encadrés, pour tous les habitants de Forestville, pour le Directeur de l’école, le Maire, le représentant de l’Hydro, le personnel de l’hôtel…un gros MERCI!

Il reste les trois mousquetaires: Dave, Gino, Steve. Vous avez fait du Défi Boréal bien plus qu’une épreuve. Vous l’avez transformé en un rendez-vous d’ami(e)s, une réunion de famille. BRAVO!

Amitiés à tous, à l’an prochain.

Dernière nouvelle. Je viens d’apprendre avec tristesse l’accident de Céline Boilard qui a chuté dans les derniers kilomètres du 54 km et s’est brisé l’humérus. Je m’en veux de ne pas avoir pris de ses nouvelles plus tôt. J’avais attribué l’absence de son beau sourire au banquet à la fatigue ou à un retour précipité au bercail. Notre vaillante skieuse était en pleine « reconstruction », à l’hôpital.

Céline: tous les skieurs qui ont eu le plaisir de te rencontrer à Forestville s’unissent autour de moi pour te souhaiter un prompt rétablissement. On t’attend sur les pistes.

– . – . – . – . –

(1) J’ai le numéro 105, je me rapproche de la tête.
(2) Croyez-en l’expérience d’un vieux prof, c’est rare.
(3) J’espère que le bruit des pièces qui s’emboîtent n’a pas trop dérangé nos voisins de chambre, Michel (Labrie) et Stéphane (Martel).
(4) C’est elle qui prépare les médailles et les trophées des vainqueurs. On en reparlera au banquet.
(5) Son sourire est contagieux. Pour ceux qui se demandent si Diane a skié le 54 km ou le 103 km, mentionnons tout de suite qu’elle a skié le 103 km. Mes félicitations!
(6) J’ai l’impression qu’avec le vent prévu, on n’aura pas besoin des gels pour se geler.
(7) Il faut effectivement une sacré dose de courage pour aller tracer en pleine tempête, par un froid sibérien.
(8) Il y avait même un traducteur pour aider les deux Américains qui participent à la Loppet. Il leur a tout expliqué: « It’s cold, take care ».
(9) J’apprendrai en fin de course que tous les copains ont eu les mêmes problèmes.
(10) Avis aux organisateurs: prenez vite un brevet pour les carrés aux dates frits, il va y en avoir sous peu dans toutes les courses.
(11) Je reniflai les carrés aux dates un kilomètre avant les ravitaillements et les échappements des motoneiges un kilomètre après leur passage.
(12) Non, ma tuque rose n’est pas à vendre. C’est un souvenir de la parade gaie. J’y tiens.
(13) Je remets ça l’an prochain.

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