Vous en avez un, mais vous ne savez pas si vous lutilisez comme il faut ou vous songez à en acheter un, mais vous ne savez pas si cela en vaut la peine. Alors voilà, moi qui promet depuis longtemps que je traiterai, dans LÉcho des Maîtres, de lutilisation rationnelle du cardio-fréquencemètre...
Le cardio-fréquencemètre nest pas que le nec plus ultra des gadgets pour impressionner la galerie. Cest un instrument qui vous donne une rétroaction constante sur votre fréquence cardiaque. Pourquoi est-ce utile à lentraînement et en compétition ? Parce que la fréquence des contractions de votre cur est, dans la plupart des conditions, un assez bon indice de lintensité de votre effort. Or, en matière de prescription et de suivi de lentraînement, lintensité est considérée comme le facteur clé, notamment parce que certaines intensités ne présentent aucun intérêt, alors que dautres ont un effet plus marqué sur la performance [voir encadré].
Les intensités dentraînement Si lentraînement est effectué à moins de 55 % de votre VO2max, il na à peu près pas deffet sur votre consommation maximale doxygène [cest-à-dire votre VO2max, qui est un excellent indice de lefficacité de votre système cardiorespiratoire et le déterminant de la performance le plus important pour toute épreuve de plus de quelques minutes]. Par contre, les séances dentraînement à des intensités comprises entre 80 et 110 % du VO2max qui doivent être effectuées de façon intermittente, sans quoi leur volume total est trop petit sont celles qui ont les effets les plus prononcés sur la performance, en ski de fond comme dans dautres activités prolongées comme la course de fond, le cyclisme, le vélo de montagne, etc. |
La mesure précise de lintensité de lexercice nécessite un équipement encombrant quon nutilise quen laboratoire. En prenant la fréquence cardiaque comme indice de lintensité, on fait une erreur quon considère généralement, à tort ou à raison ça dépend des cas comme négligeable. Parmi les divers types de cardio-fréquencemètre, seuls ceux qui comprennent une bande à fixer autour du thorax et une " montre " bracelet on le minimum requis de validité.
Concrètement, vous pouvez utiliser votre cardio-fréquencemètre dans " deux sens ". Je mexplique. Vous pouvez vous en servir pour ajuster votre vitesse de déplacement, et donc votre effort, en cherchant à avoir une fréquence cardiaque la plus proche possible de la fréquence cardiaque cible correspondant à lintensité dentraînement qui vous aura été prescrite. Par exemple, si on vous a recommandé de faire deux séries de trois répétitions dune fraction deffort de 5 min à 85 % de votre VO2max, vous calculez préalablement à quelle fréquence cardiaque cette intensité correspond, puis vous tâchez davoir une fréquence cardiaque qui est la plus proche possible de cette fréquence cible. À linverse, vous pouvez utiliser votre cardio-fréquencemètre pour noter votre fréquence cardiaque à divers moments à lentraînement ou en compétition, puis vous calculez à quelle intensité elle correspond.
Jai déjà fourni la formule permettant de calculer la fréquence cardiaque correspondant à chaque intensité] voir : " Quelques outils pour construire vous-même votre programme dentraînement ", LÉcho des Maîtres, no 3, 1994-1995, p. 8]. Le tableau présenté à la fin de cet article permet également de faire cette correspondance... dans les deux sens. Notez que vous devez connaître votre fréquence cardiaque maximale [ou, à défaut, lestimer selon votre âge] et votre fréquence cardiaque de repos [à mesurer le matin au réveil].
Voici quelques utilisations du cardio-fréquencemètre :
2. Lorsque des conditions extrinsèques affectent la vitesse à lentraînement [vent, rugosité de la neige, altitude, décalage horaire, digestion, manque de sommeil], il peut être avantageux dajuster son effort en visant une fréquence cardiaque cible donnée plutôt que de sacharner à adopter un rythme inutilement élevé;
3. En effectuant des entraînements à haute intensité et des compétitions [simulées ou réelles] au cours desquels vous portez votre cardio-fréquencemètre, vous pouvez identifier la fréquence cardiaque à laquelle vous avez le plus de chance de bien " performer " pour une épreuve dune durée donnée. Par exemple, si vous navez jamais réussi à maintenir une fréquence cardiaque de 160 battements par minute pendant plus dune heure, vous voudrez sans doute ajuster votre vitesse afin davoir une fréquence cardiaque inférieure à 160 battements par minute au cours dune compétition de 20 km et plus;
4. Objectivez lamélioration de votre condition physique au cours de la saison en comparant régulièrement votre fréquence cardiaque pour un effort dune intensité donnée. Comme il nest pas possible de contrôler lintensité en ski de fond, vous devez faire ce genre de test sur un ergocycle ou en course à pied, sur une piste étalonnée et dans un environnement semblable dun test à lautre. Au fur et à mesure que vous améliorez votre VO2max et lefficacité de votre style, votre fréquence cardiaque, pour un effort dune certaine intensité, devrait diminuer. Certains utilisent ce genre de test pour détecter le surentraîne-ment : dès que leur fréquence cardiaque a tendance à augmenter pour une intensité donnée, ils diminuent leur " charge " dentraînement et ils se mettent au repos;
5. Effectuez un certain tronçon de parcours [p. ex. une montée] à la même vitesse, mais avec des pas différents pour identifier celui qui est le plus efficace, cest-à-dire celui qui vous " coûte " le moins dénergie : cest le pas qui saccompagne de la fréquence cardiaque la moins élevée;
6. Vérifiez quil est plus efficace, à une vitesse donnée, de skier juste derrière un autre skieur ou skieuse [surtout si il ou elle a un grand gabarit par rapport au vôtre] : votre fréquence cardiaque devrait être plus basse denviron 5 à 10 battements par minute, à cause de la diminution de la résistance de lair;
7. Constatez lamélioration de votre capacité de récupération en mesurant combien de temps il vous faut pour faire passer votre fréquence cardiaque dun certain niveau à un autre, après larrêt de leffort [p. ex. de 150 à 120 battements par minute];
8. Contrôlez lintensité de votre échauffement, de votre retour au calme et, pendant un entraînement intermittent, des fractions de récupération. Par exemple, tâchez davoir une fréquence cardiaque correspondant à environ 55-65 % de votre VO2max pendant ces périodes;
9. Comparez votre fréquence cardiaque à celle dun ou dune camarade dentraînement, sur divers tronçons; peut-être êtes-vous plus ou moins efficace que les autres sur le plat, en faux-plat ou en montée.
Certains programmes dentraînement prescrits par des spécialistes réfèrent à ce quon appelle des " zones " dintensité. Lintérêt de ceux-ci réside dans le fait quils vous incitent à travailler à des intensités comprises entre 75 et 95 % du VO2max, ce qui est effectivement très avantageux au plan de lamélioration des qualités physiologiques, à condition de suivre un patron rationnel dalternance entre les fractions intenses et les fractions de récupération.
Cependant, il faut être conscient des limites du cardio-fréquencemètre comme outil de contrôle de lintensité de lentraînement. En effet, la fréquence cardiaque peut être un mauvais indice de lintensité de leffort dans plusieurs circonstances, si bien que jai maintes fois constaté quon en faisait un usage abusif. Voici quelques cas... à ne pas imiter :
2. Un champion de vélo de montagne qui fait du ski de fond pour entretenir son [énorme] VO2max entre deux saisons estivales était forcé de " se pousser " à lextrême au cours de certaines de ses séances intermittentes de ski pour reproduire les fréquences cardiaques quil obtient lété à vélo lors dentraînements semblables. En fait, lorsque le visage est exposé au froid, il se produit un réflexe nerveux qui fait que la fréquence cardiaque est plus basse pour un effort dune intensité donnée : cet athlète, en tentant datteindre une fréquence quil atteint sans trop de difficulté lété, devait fournir tant deffort quil travaillait en fait à une intensité plus élevée que voulu, si bien quil avait tendance à négliger son style, ce qui nest pas du tout indiqué si on veut améliorer sa performance en ski.
3. Un entraîneur demandait à ses athlètes de faire 20 intervalles de 30 secondes en " zone 4 " [cest-à-dire, je présume à 90-100 % VO2max selon son " jargon "] avec 2 à 3 minutes de récupération entre chaque effort. Comme la fréquence cardiaque naugmente pas assez rapidement pour atteindre une valeur stable en 30 secondes, ses athlètes avaient limpression de sentraîner à une intensité inférieure à lintensité prescrite, sauf parfois lors des dernières fractions deffort au cours desquelles ils arrivaient enfin au terme defforts inutilement épuisants à se rapprocher de la fréquence cardiaque prescrite.
4. Un skieur qui sacharnait à maintenir sa fréquence cardiaque sous les 150 battements par minute au cours dune très longue sortie a dû réduire inexorablement sa vitesse, jusquà ce quil soit obligé de skier à un rythme ridiculement lent. Le phénomène appelé la " dérive cardiaque " fait que la fréquence cardiaque augmente lentement mais constamment lors dun effort prolongé, même si lintensité demeure constante. Il vaut mieux laisser sa fréquence augmenter sensiblement que de tenter vainement de la conserver constante, sans quoi lintensité dentraînement risque de passer sous le seuil minimal requis pour saccompagner dune amélioration des déterminants physiologiques de la performance.
5. Un skieur, constatant que sa fréquence cardiaque dépassait les 180 battements par minute lors de léchauffement et des premiers kilomètres dune course, a été pris de panique, ne sachant plus sil devait réduire sa vitesse ou conserver son rythme, quil trouvait pourtant relativement facile. En fait, la fréquence cardiaque dépend non seulement de lintensité de leffort, mais aussi du stress psychologique. Il ne faut pas sinquiéter si dans certaines circonstances la fréquence cardiaque dexercice est supérieure à celle quon sattend davoir.
En conclusion, il peut être avantageux dutiliser un cardio-fréquencemètre à lentraînement et en compétition, si on sait sen servir. Que cela ne vous empêche pas dêtre à lécoute de réactions de votre corps. Je crois que lintérêt principal du cardio-fréquencemètre réside non pas dans son utilisation comme outil pour ajuster lintensité dentraînement, mais plutôt comme moyen dobtenir une information supplémentaire sur les réactions de son corps à différentes situations. Ainsi, un des premiers exercices que vous pourriez faire avec votre cardio-fréquencemètre est de noter comment se comporte votre fréquence cardiaque lors dune séance type dentraînement, puis de constater comment ce comportement change au cours de la saison, au fur et à mesure que vous progressez. À ce titre, les fonctions très sophistiquées de mémoire dont sont munis certains nouveaux modèles de cardio-fréquencemètre pourront savérer particulièrement utiles.
Un autre exercice que vous pourriez faire consiste à skier quelques minutes à une vitesse telle que votre fréquence cardiaque se rapproche le plus possible des intensités suivantes : 75, 85 et 90 % du VO2max. Vous devriez constater que 75 % VO2max est une intensité quon peut maintenir sans trop de problèmes pendant une heure à lentraînement. La vitesse correspondant à 85 % VO2max est à peu près celle que vous maintenez en moyenne lors dune compétition de 2 heures [si votre endurance est " moyenne "] ou 2 heures 30 minutes [si votre endurance est " élevée "], alors que celle correspondant à 90 % VO2max peut difficilement être maintenue plus de 40 minutes, même en compétition.
Je vous souhaite de bien tirer profit de votre cardio-fréquencemètre et surtout... de ne pas en devenir un esclave [comme ce skieur de fond français qui ne voulait plus participer à la Transjurassienne parce quil avait oublié son " pulsomètre " à la maison !].
Tableau (Format Adobe Acrobat Reader)
Novembre 1996