Le but de cet article est de fournir quelques éléments de réponse à une question à laquelle est confronté lathlète, en ski de fond comme dans tous les autres sports, lors de la planification de son programme dentraînement :
Pour désigner cette modulation de lentraînement que lon applique juste avant une compétition, on utilise généralement le terme affûtage, emprunté au jargon du milieu des courses de chevaux [en anglais taper : " to narrow gradually toward the end "].
Il y a au moins deux bonnes raisons pour lesquelles tout athlète soucieux dobtenir des résultats de course à la hauteur de son talent et de son travail devrait se questionner sérieusement sur la meilleure façon dorganiser son plan dentraînement au cours des derniers moments avant une compétition importante :
2. le patron le plus efficace est exactement linverse de celui que plusieurs athlètes et entraîneurs ont tendance à employer spontanément !
Réduire la fatigue
Lentraînement que lon suit améliore notre condition physique, mais il induit également une certaine fatigue. Ainsi, ce que lon cherche à faire dans les derniers jours avant une compétition importante, cest de réduire notre niveau de fatigue, sans toutefois diminuer le niveau de développement de nos qualités physiques. Le meilleur patron daffûtage est donc celui qui nous repose, sans toutefois provoquer de " désentraînement ".
Ce que les études scientifiques nous apprennent
Jusquà maintenant, on na pas effectué beaucoup détudes rigoureuses sur laffûtage : une trentaine tout au plus [Thibault et Marion, 1995]. La plupart ont été menées auprès de coureurs de demi-fond ou de fond, de nageurs et de cyclistes [Costill et al., 1985; Houmard, 1993; Neufer, 1989; Shepley et al., 1992]. Bien quil ne semble pas y avoir eu de recherches sur laffûtage menées spécifiquement auprès de skieurs de fond, il ny a pas de raison de croire que les conclusions des études disponibles ne peuvent pas sappliquer à notre sport.
Lune des plus intéressantes parmi ces études a été effectuée par une équipe de McMaster University en Ontario [Shepley et al., 1992]. Les chercheurs ont comparé trois modes de réduction [pendant sept jours] de lentraînement chez des coureurs de demi-fond dun bon niveau [VO2max de 66 à 71 mlkg-1min-1] :
Affûtage #1 : Repos total : aucune séance dentraînement au cours des sept jours précédant lépreuve;
Affûtage #2 : Volume élevé, intensité faible : petite diminution du volume total dentraînement et grande diminution du volume de fractions deffort à haute intensité;
Affûtage #3 : Volume faible, intensité élevée : grande diminution du volume total dentraînement et maintien du volume des fractions deffort à haute intensité.
Chaque coureur a été soumis tour à tour à chacun des modes daffûtage après avoir repris lentraînement intensif [80 km/sem., dont environ un tiers comprenant des fractions intermittentes deffort à 95-100 % VO2max] pendant quatre semaines.
Le temps pendant lequel les coureurs pouvaient maintenir la vitesse de leur record personnel sur 1 500 m [cest lindice de performance retenu dans cette étude] avait tendance à diminuer [3 %] après le repos total [" Affûtage #1 "] et à augmenter [6 %] après laffûtage à faible intensité [" Affûtage #2 "], mais ces changements nétaient pas statistiquement significatifs. Par contre, au terme de laffûtage comprenant une forte proportion de fractions deffort à haute intensité [" Affûtage #3 "], les sujets pouvaient maintenir la vitesse correspondant à leur record personnel sur 1 500 m beaucoup plus longtemps [augmentation de 22 %] quavant laffûtage.
Une analyse critique des résultats de lensemble des études scientifiques sur laffûtage que jai effectuée récemment avec le responsable du perfectionnement des entraîneurs de haut niveau à lAssociation canadienne des entraîneurs, Alain Marion permet de confirmer que le meilleur patron daffûtage, au moins pour des épreuves dont la durée est comprise entre 30 secondes et quelques heures, comprend une diminution importante du volume dentraînement à intensité faible ou modérée et le maintien du volume de fractions deffort à haute intensité [Thibault et Marion, 1995], ce qui se situe essentiellement à lopposé de ce que croient spontanément la plupart des athlètes.
Les cinq règles dor de laffûtage
On peut résumer de la façon suivante à la lumière des études scientifiques sur le sujet les cinq règles quil faut observer pour quun patron daffûtage ait le plus de succès possible :
2. Le volume de fractions deffort à haute intensité [= 80 % VO2max] doit demeurer élevé;
3. La fréquence hebdomadaire des séances dentraînement doit demeurer élevée ou diminuer très peu;
4. La durée de laffûtage doit être de 4 à 21 jours [plus lathlète est âgé, plus son entraînement préalable est volumineux et difficile et plus la compétition pour laquelle il se prépare est courte, plus laffûtage doit être long];
5. Lactivité pratiquée pendant laffûtage doit être spécifique à la discipline de lathlète [par exemple, il faut faire du ski de fond et non pas de la course à pied lors de laffûtage précédant une course de ski de fond].
Par exemple
Voici, en guise dexemple, ce que pourrait être la programmation de la dernière semaine de la phase intensive dun skieur de fond de haut niveau âgé de 40 à 50 ans, de même que la programmation de ses neuf derniers jours dentraînement avant une éventuelle compétition importante pour laquelle il se préparerait spécifiquement [par ex. une course de 50 km en style libre] :
Phase dentraînement intensif [dune durée de 2 à 3 semaines et effectuée après avoir observé une progression la plus longue possible] :
Mar : Une heure de musculation spécifique.
Mer : 10 min déchauffement à 65-70 % VO2max; 3 séries de 4-5 fois 1 min à 105-110 % VO2max avec une récupération de 2 min à 60-65 % VO2max entre les répétitions et de 5 min entre les séries; 10 min de retour au calme à 70-75 % VO2max.
Jeu : Une heure de musculation spécifique; 45 min à 70-75 % VO2max comprenant 4 fois 1 min 30 secondes à 95-105 % avec 2 min de récupération à 60-65 % VO2max entre les répétitions.
Ven : 10-20 min dexercices de développement de la flexibilité, pas dactivité aérobie.
Sam : 20 min déchauffement à 65-70 % VO2max; 5 fois 5 min à 80-85 % VO2max avec 5 min de récupération à 60-65 % VO2max; 15-20 min de retour au calme à 70-75 % VO2max.
Dim : Trois heures à, en moyenne, 70 % VO2max comprenant 3 ou 4 fractions deffort plus soutenu [environ 85-90 % VO2max] dune durée de 5 à 15 min [en faux-plat montant ou en côte].
Phase daffûtage :
Dim : 5 min déchauffement à 65-70 % VO2max; 20 min à vitesse de compétition [soit à environ 80 % VO2max]; 10 min de repos inactif; 8-10 sprints à vitesse très élevée en faux-plat montant sur environ 60 m avec un retour lent au point de départ.
Lun : 10-20 min dexercices de développement de la flexibilité, pas dactivité aérobie.
Mar : 5 min déchauffement à 65-70 % VO2max; 2 séries de 10 fois 15 secondes à plus de 105 % VO2max avec 30 secondes de récupération à 60-65 % VO2max entre les répétitions et avec 5 min de repos inactif entre les séries; 5 min de retour au calme à 70-75 % VO2max.
Mer : 10-20 min dexercices de développement de la flexibilité, pas dactivité aérobie.
Jeu : 5 min déchauffement à 65-70 % VO2max; 2 séries de 4 fois 2 min à 90 % VO2max avec une récupération inactive de 3 min entre les répétitions et de 5 min entre les séries; 5 min de retour au calme à 70-75 % VO2max.
Ven : 10-20 min dexercices de développement de la flexibilité, pas dactivité aérobie.
Sam : 5 min déchauffement à 65-70 % VO2max; 4 à 6 fois 1 min à 100-105 % VO2max avec une récupération inactive de 3 min entre les répétitions.
Dim : mise en train de 5-10 min à 50-55 % VO2max le plus tôt possible le matin; échauffement, juste avant le départ, de 5-10 min à 55-65 % VO2max comprenant 4-5 pointes sur environ 50-60 m; compétition importante.
Laffûtage peut-il saccompagner dune baisse de la performance ?
Évidemment, un affûtage mal conçu peut vous nuire, mais sachez quil nest pas impossible quun affûtage bien conçu puisse provoquer quelques semaines plus tard une baisse significative de votre performance. En effet, comme on la précisé au début du présent article, les effets bénéfiques dun bon protocole daffûtage tiennent au fait quil maximise leffet de repos et minimise leffet de " désentraînement ". Par contre, dans les jours qui suivent votre compétition importante, il est possible que le niveau de développement de vos qualités physiques subisse le contrecoup de la diminution du volume dentraînement, ce qui combiné à la fatigue conséquente à la compétition et aux séances dentraînement effectuées par la suite peut provoquer une détérioration subséquente de vos résultats de course.
Limportance de la détérioration possible de votre performance et la durée de la période pendant laquelle elle peut se manifester dépendent de linteraction entre les différentes composantes de vos séances dentraînement et des compétitions effectuées avant, pendant et après laffûtage. Par contre, il nest pas impossible, particulièrement chez les athlètes surentraînés, que la performance augmente encore dans les jours suivant la compétition, surtout sils observent une période de repos. On a récemment observé ce phénomène chez un groupe dolympiens Britanniques surentraînés [Koutedakis et al., 1990].
Que faire sil y a deux importantes épreuves consécutives et pour lesquelles on cherche une performance optimale ?
Il ny a pas de recette éprouvée pour faire face à cette contrainte. Sil y a moins de trois semaines entre les deux compétitions importantes, sans doute vaut-il mieux poursuivre un régime à faible volume mais comprenant beaucoup de fractions deffort à haute intensité. Si la période entre les compétitions est plus longue, il vaut sans doute mieux augmenter le volume le plus tôt possible après la première course importante pour réduire progressivement ce volume à lapproche de la seconde épreuve, tout en conservant un bon taux de fractions deffort à haute intensité. On a obtenu un très grand succès avec un patron semblable au cours des deux dernières années avec un athlète vétéran qui a dû se qualifier pour le triathlon " Ironman " dHawaii à la sélection canadienne qui a lieu [malheureusement !] six semaines avant.
Quelques trucs et conseils pratiques
En période daffûtage, soyez confiant. Vous débordez dénergie et vous êtes très tenté de conserver malgré tout un certain volume dentraînement : ne le faites pas ! Il est très important que vous réalisiez quune séance dentraînement comprenant des fractions deffort à haute intensité nest pas forcément une séance difficile, à condition que leffort soit bien dosé [vous navez pas à vous pousser au maximum] et que la récupération entre les répétitions, entre les séries et entre les séances soit suffisamment longue et facile. Apprenez donc à faire des séances intenses mais faciles.
Prenez des notes sur les réactions de votre organisme afin de mieux vous connaître. Ny aller pas trop fort sur lapport calorique : votre dépense énergétique étant moindre, vous pourriez prendre un peu de poids, ce qui nest pas votre but. Au besoin, effectuez la diète de surcompensation glycogénique [la fameuse diète aux spaghettis !, voir à ce sujet : Péronnet et al., 1991].
Pour en savoir davantage
Costill D.L., King D.S., Thomas R., et al. Effects of reduced training on muscular power in swimmers. The Physician and Sportsmedicine 13:94-101, 1985.
Houmard J.A. Impact of reduced training on performance in endurance athletes. Sportsmedicine 12:380-393, 1993.
Koutedakis et al. Rest in underperforming elite competitors. British Journal of Sports Medicine 24[4]:248-252, 1990.
Neufer P.D. The effect of detraining and reduced training on the physiological adaptations to aerobic exercise training. Sportsmedicine 8:320-321, 1989.
Péronnet F., Thibault G., Ledoux M., et al. Le Marathon équilibre énergétique, alimentation et entraînement du coureur sur route, deuxième édition, Décarie Éditeur, Montréal et Éditions Vigot, Paris, 438pp., 1991.
Shepley B., MacDougall D., Cipriano N., et al. Physiologic effects of tapering in highly trained athletes. Journal of Applied Physiology 74:706-711, 1992.
Thibault G., Marion A. Affûtage et optimisation de la performance: la perspective physiologique. Entraîninfo, revue de lAssociation canadienne des entraîneurs, sous-presse.
Novembre 1995