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Chroniques d’Autriche

Chroniques d’Autriche par Jean St-Hilaire

Dix jours de rêve. Dix jours de vacances hors du temps, dans un coin de pays échappé d’un conte merveilleux où le ski, tout le ski, qu’il soit alpin, de fond ou de saut, où tout le ski est roi.

Comment exprimer… Allons-y le plus naturellement, en laissant parler les impressions et les jours.

Le 29 janvier

Nous atterrissons à Schiphol, l’aérogare d’Amsterdam, au petit jour. La piste reluit sous le crachin, l’air mât nous inspire quelque inquiétude muette… Climat de mer du Nord, pensons-nous, dans les Alpes, l’hiver reprendra ses droits.

Eh bien nous voici à vue des Alpes, quelques heures plus tard. Munich. À deux heures de route de Seefeld. Le sol à nu, déjà le printemps. Un bon 10 °C nous fout l’automne dans l’âme. À bord de l’autocar qui doit nous déposer à nos championnats, nous découvrons la Bavière des champs, pas celle des neiges. Désolation. Ça ne jase pas fort… Il faut fureter vers les cimes pour nous rappeler au but de notre voyage. Pamela, notre guide, apaise nos craintes :  » Ça change en un rien de temps ici, on annonce une bordée pour cette nuit…  »

En attendant, on ne retrouve que des traces d’or blanc dans la très hivernale Garmisch-Partenkirchen, hôtesse des Jeux olympiques d’hiver de 1936. Seefeld nous attend par le défilé, quelques centaines de mètres plus haut et vingt kilomètres plus loin. L’altitude nous redonne espoir. Le blanc enveloppe gauchement les lieux; au plus 10 cm au sol. Enfin, c’est cela de gagné. Nous prenons possession de nos quartiers dans la simple mais très avenante Auberge Glas, face à un étang de tourbière, et prenons par champs et bois sur nos planches. Plus 3 ou 4 °C : nous progressons à la gelée de bras par la montée en lacet qui nous emmène à Wildmoos, sur le plateau. Terre et roches affleurent, les skis  » de roches  » seraient de mise. D’autant que la descente de retour sur le stade, glacée et technique, nous oblige à des dérapés nerveux.

Le repas du soir pris, le programme s’énonce de soi. Vite au dodo pour remonter le fil du décalage horaire. Et faire des rêves duveteux de poudreuse…

Le 30 janvier

Miracle ! Pamela a livré la marchandise. Nous nous réveillons sur un tapis de 20 cm d’ouate moelleuse qui serviront de base à toute la semaine des championnats et à nos souvenirs reconnaissants. Curieuse impression… tout ce blanc et ce fond de l’air qui a quelque chose de balnéaire. C’est le petit matin et il fait plus 20. Reconnaissance du parcours du lendemain. La vie de groupe s’organise. Monastique d’abord. Course aux hydrates, déni de la tentation houblonneuse… la vraie vie d’athlète quoi. Après le 15 km, au quatrième jour, cet état d’esprit fera place à plus de libéralité. Nombre d’entre nous résistons de plus en plus mal à la délicieuse Goesser, le nectar des championnats, où à l’Obstler, schnaps carabiné du pays.

Au soir, cérémonie d’ouverture au pied du tremplin de 70 m. Du protocole, de la tenue et un très honnête spectacle dominé par les spécialistes du deltaplane.

Le 31 janvier

Ces messieurs aux bois… et aux abois. Qui croyait s’être inscrit en libre se retrouve en traditionnel et vice-versa. Le coupable : le formulaire d’inscription. Trop imprécis. Et ils sont intraitables ces messieurs-dames du Organisationskomittee. Notre Alfred national, le Fortier bien sûr, fulmine :  » Che fas me blaindre tout de zuite au Bundeskanzler Waldheim si fous mé tonnez pas raison « … Bien entendu, on l’envoie brouter de la gentiane alpine et du pissenlit carreauté, si ça peut lui faire plaisir. Contre mauvais gré et manque d’entraînement spécifique, Alfred, dont nous tartinons les propos, on le devine, nous déballe un 30 km classique de 1 h 46 min 16 s bon pour une 13e place. Le coq du jour : Claude Charbonneau, chez les 30-34 ans. 1 h 40 min 20 s, en style libre. Ceci écrit, trêve de résultats; nous ne sommes pas pour reprendre ce que Michel Bédard a très bien fait, ailleurs, dans ce bulletin.

Au soir, petite sortie du côté de la piscine Olympia où on retrouve un très reconstituant sauna mixte. Intérêt à peu près unanime au sein du groupe. Qu’on ne préjuge pas de nos intentions, nous sommes tous là pour chasser les toxines. La vie d’athlète vous oblige parfois à de ces sacrifices !… Enfin, 4 000 km d’eau salée, constatons-nous pudiquement, n’ont pas brouillé le compas de la Providence. Les Européennes ne réinventent pas le modèle et sans doute peuvent-elles dire la même chose de nous.

Le 1er février

Lise Demers agite en nous le grelot national : elle décroche l’or du 20 km style libre. De ce métal, il n’y en aura d’ailleurs que pour elle, chez les nôtres. Magnanime… et peut-être un peu distraite, Rhéa Bourgeois se farcit pour sa part cinq kilomètres de plus que demandé. C’est pas du zèle ça ? Une boucle de trop. Léon Leclerc avait pourtant tracé la voie la veille ne parcourant, au nez des officiels et de l’ordinateur confondus, cinq kilomètres de moins que requis. Interrogé sur les raisons de la relative discrétion de ses performances sur 15 et 50 km, Léon a eu ce mot convenu :  » J’ai tout donné dans le 30 !  » La postérité dira qu’il était 8e des 50-54 ans, sur 30 km. Ici encore, nous prêtons à notre souffre-douleur une perfidie qu’il n’a pas; Léon a été le premier surpirs de l’efficacité de sa  » ruse « .

Le 2 février

Grosse neige tombante sur fond granuleux dure, à quelques minutes du départ du 15 km. Les chimistes s’énervent. Ils sont nombreux à miser gros d’ambitions sur cette course. Claude Latulippe a la témérité de s’accrocher aux leaders des 30-34 ans dans l’éprouvante montée du départ. Il suit le train, mais au sommet, c’est l’asphyxie.  » J’ai dû m’arrêter une grosse minute pour reprendre mon souffle. Je ne voyais plus rien, j’avais envie de mourir…  » Ronald Bernier sort la performance du jour : 50 min 50 s, il est 25e. Plus que sur 30 km encore, nous constatons notre bonheur inégal à décrypter la neige des hauteurs. À températures égales, elle semble demeurer plus sèche qu’ici.

En après-midi, nous gravissons en cortège les neuf dixièmes des 2 221 m du Seespitze, en Est de Seefeld. On prend d’abord par le train à crémaillères, puis le téléphérique. Au sommet, la vue est éblouissante, bien que le plafond brumeux soit assez bas. Des skieurs s’affairent contre des  » raidillons  » de 70 degrés, sous notre cabine. À nos pieds, Seefeld a très belle mine, enserrée qu’elle est par ces montagnes et ces boisés wagnériens. À l’ouest, le Hohe Munde [2 661 m]. Derrière, plus au nord, le Zugspitze, point culminant des Alpes bavaroises à 2 964 m. Seefeld, un cocon au cœur des Alpes. Un cocon de vie plutôt artificielle, admettons-le, car il ne vit que pour et par le tourisme. Les petites pensions voisinent les hôtels cinq étoiles dans une engageante homogénéité architecturale. Nos bungalows détonneraient dans ce décor encombré, mais harmonieusement encombré par une foule de boutiques, de restaurants, un casino, trois glaces extérieures artificielles et un tennis en salle. Deux clochers confèrent une saveur passéiste à l’ensemble. Des chevaux attendent les touristes sur la place publique. Le stade de fond, lui, est situé aux abords sud-ouest de la ville, devant une vieille chapelle aux clochers en bulbes. Deux mille six cents habitants et c’est plein de voies piétonnières. Rythme de vacances.

Le 3 février

De l’or pour Lise. Encore. Sur 10 km cette fois. En attendant d’aller l’acclamer à la cérémonie de remise des médailles, au soir, dans un petit parc blotti au beau milieu de Seefeld, un peu tout le monde part en excursion. Qui de fond, qui d’alpin. Journée radieuse. Marcel Dumas et votre serviteur prennent pour leur part par le hameau de Mœsern où une superbe vue en plongée sur la vallée de l’Inn s’offre à nous. Nous progressons par la suite vers le Lottensee, sous une somptueuse frondaison d’épinettes de Norvège et de pins alpestres et gagnons le réseau que nous emprunterons pour le 50 km. Ici et là, en bordure de piste, une auberge, une terrasse. Les gens sirotent, flânent, se gavent de soleil. Le paradis du temps suspendu.

Le 4 février

Relais pour tous et toutes. L’énervement, la pagaille; ça sent l’adrénaline à plein nez aux abords de la zone d’échange. Malgré l’encombrement, les courses se déroulent sans anicroche majeur. L’effervescence compétitive a suivi une autre effervescence, celle des derniers ajustements de fartage. Tout un chacun constate, un peu tard, que le klister universel est de rigueur. Heureusement qu’il y a là une couple de prévoyants. Ils écopent, tout le monde se rabat sur leur tube. À terme, ne montent pas sur le podium qui on attendait. France Breton, de Granby, et ses coéquipières de l’Ouest [dont il nous a été impossible de vérifier l’identité] touchent le bronze.

En après-midi, Pamela nous mène, par les remontées d’un petit centre alpin, au sommet du Gschwandtkopf, colline située aux portes sud de la ville et dont le sommet la domine de 300 m. Vue saisissante sur la vallée de l’Inn, toujours en deuil de neige.

Au soir, superbe banquet tyrolien, à la Tennishalle. Knoedel, jambon, choucroute au carvi, poulet, fèves rouges, fromages du pays et l’inévitable struedel aux pommes. Le tout libéralement arrosé de Goesser toujours aussi invitante.

Le 5 février

Descente en groupe sur Innsbruck. Par un vertigineux lacet ferroviaire qui nous dépose à quelques minutes de marche de la Maria Theresien Strasse, la vieille avenue centrale de la capitale du Tyrol. En soirée, c’est la transe de fartage. On prévoit une température d’entre -30 et +50 pour les épreuves de clôture des championnats, les longues distances. Klister recouvert de fart…

Le 6 février

La belle alchimie !… En montée, pas de problème, on pourrait gravir un poteau. Mais en descente, quelle misère… Comme sur du papier sablé. Combien sont-ils à avoir à nouveau mal jugé de cet environnement alpestre si étranger à nos conditions ? Chose sûre, si d’aucuns se sont hâtés avec lenteur en course, ils ont sprinté dans la couple d’heures qui a suivi l’arrivée. La douche, les bagages… il fallait vite tout faire pour rallier Munich. L’avion nous y attendait en début de soirée, pour nous déposer à Amsterdam dont nous avons pu apprécier quelques charmes grâce à une randonnée pédestre imprévue. L’autobus de l’aéroport, en effet, ne pouvait nous déposer à moins de vingt minutes de marche de l’hôtel Krasnopolsky, notre pied-à-terre, tout près du grand canal Amstel. Notre dernière bouffée d’atmosphère européenne en attendant le retour.

Bilan ? Les premières lignes en font ressortir la teneur générale. Il fut des plus positifs. Peut-être davantage pour ceux qui, tel le signataire de ces lignes, ont beaucoup gagné au contact de futés routiers et non moins futées routières du ski de fond.

Camaraderie, entraide, jovialité, décontraction, etc., le séjour fut des plus délassants et enrichissants. Et sans doute avons-nous donné à nos hôtes autrichiens, fort serviables et toujours souriants, l’image d’un groupe de bons vivants, certes, mais aussi de gens respectueux d’autrui. La maison Glas nous a permis de farter au sous-sol. Nous y avons fait un gâchis que nous avons réparé avant le départ, par les bons offices de Lisette Létourneau et de Marc Larouche, entre autres.

Au plan technique, compte tenu des conditions atmosphériques adverses, l’impossible a été fait pour tenir les courses dans les meilleures conditions possibles. Au reste, l’enneigement n’était déficient qu’à Seefeld même et sur les basses parties du parcours. Sitôt le plateau de Wildmoos atteint, nous  » flottions  » sur de la belle poudreuse. Au passif, l’usage discret de l’anglais — et à plus forte raison du français — dans l’annonce des consignes d’avant-course. L’allemand toujours et partout. Normal, nous étions en Autriche. Reste que le mouvement des maîtres en est un de service à ses membres. S’il faut qu’il soit polyglotte pour améliorer l’esprit de la fête, qu’il le soit ! Autre chose, les contacts avec nos collègues étrangers sont trop rares et le plus souvent fortuits. Peut-être Québec pourrait-il marquer le pas — à moins que ce soit un précédent — en constituant une liste de skieurs d’ici intéressés à accueillir chez-eux des skieurs étrangers, ne serait-ce que pour un souper. Le mouvement des maîtres prendra tout son sens quand il se montrera aussi efficace à promouvoir, par-delà les barrières politiques et linguistiques, la camaraderie entre ses membres qu’à leur fournir un encadrement compétitif irréprochable.

1988

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